Intrigue n°0 - Rassemblement dans le centre historique de Spirit River

L'habitude. Au matin, Jérémiah ne fut pas surpris de ne pas trouver sa mère dans leur appartement. Sa première pensée fut qu'elle était partie acheter de la bière. Toutefois, il en fut tout de même étonné puisqu'elle savait pertinemment que si elle arrivait les mains chargées d'alcool, ou avec une unique bouteille même, son fils les lui arrachait des mains pour s'en débarrasser. Elle avait alors usé d'une autre tactique, celle d'attendre qu'il parte travailler pour avoir la paix. Même s'il s'agissait d'un jour férié, certains commerces étaient ouverts. Il ne se l'avoua pas, mais il fut peiné qu'elle pense à se saouler un jour comme celui-ci. En même temps, Noël est synonyme de famille et il fallait dire que la leur était détruite. Par celui même qui lui avait permis d'en fonder une.

Sans plus s'inquiéter, il s'était alors préparé pour aller bosser. Oui, même les jours fériés le cinéma pouvait être ouvert. Ce jour-là, le patron avait demandé à Jérémiah si c'était possible pour lui de venir, ce dernier avait accepté, puisque la paye allait être meilleure et qu'avec sa mère, Noël n'était pas synonyme de fête. Il l'attendit malgré tout jusqu'à la dernière minute, mais il se résolut à partir, par peur d'être en retard. À peine fut-il sorti qu'il eut un drôle de pressentiment. Tout était calme autour de lui. Sans se questionner davantage, il commença à marcher jusqu'au quartier est dans le but de rejoindre le cinéma, son lieu de travail. Il avait trouvé ce boulot alors qu'il s'était décidé à ne pas poursuivre ses études supérieures, son esprit étant trop préoccupé par les multiples questions qui l'assiégeaient en permanence. Sa mère avait tenté de le raisonner, en vain. C'était bien l'une des rares fois où elle avait l'esprit clair, d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, cet emploi lui plaisait bien. Il n'était pas des plus stressants.

Sur le chemin, l'ambiance fut toute aussi étrange. Des individus semblaient agités et en même temps, par secteur, le calme régnait. Cependant, comme à son habitude, il avait tracé la route sans tenir compte de ce qu'il se passait.

C'est au fur et à mesure de la journée qu'il commença à penser que quelque chose clochait vraiment. Le cinéma avait été plutôt désert et des bribes de rumeur étaient parvenues à ses oreilles.

« Mes parents ne sont pas là. »

« Les miens non plus ! »

« Il y a une immense forêt autour du village ! »

Euh... Oui, ce n'était pas nouveau. Ces quelques phrases n'avaient pas vraiment de sens pour Jérémiah. Dans son monde, il n'y prêta pas plus attention que ça jusqu'au chemin du retour, dans la soirée. À ce moment-là, il remarque de nombreuses personnes réunies en groupe, certaines se dirigeant vers le centre du village. Beaucoup semblaient agitées. Il devait passer par le centre pour rejoindre l'ouest de la ville, du moins c'était le chemin le plus court à pied. Il pressa le pas, davantage pressé de rentrer que de savoir ce qu'il se tramait au sein de Spirit River.

« Eh ! Jérémiah ! » entendit-il soudainement.

Il se tourna vers celui qui l'avait appelé ; il s'agissait de l'un de ses amis.

« Il se passe quelque chose de vraiment étrange ! On ne peut plus sortir de la ville et de nombreux habitants ont disparu ! »

Enfin, l'inquiétude pointa le bout de son nez dans l'esprit de Jérémiah.

« Quoi ? Mais comment ça ? » demanda-t-il.

« La route est coupée nette ! La forêt est devenue immense d'un coup ! Mes parents ne sont plus là, il manque plein de monde ! Un truc de dingue ! Je crois que tout le monde se rassemble dans le centre, viens, faut qu'on y aille pour savoir ce qu'il se passe ! »

L'intéressé marqua une hésitation. Il n'avait aucune envie de se mêler à une immense cohue. Néanmoins, si ce que son ami disait était vrai - et il ne doutait pas de sa parole -, cela voulait peut-être dire que sa mère avait en réalité disparu. Il tenta de la joindre à deux reprises, mais personne ne répondit. Il soupira, agacé et anxieux à la fois.

« Bon, ok, allons-y. »

Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu'il aperçut le monde qui était regroupé sur la place principale de Spirit River. Il se sentit immédiatement mal à l'aise mais la présence de son ami le força à s'avancer et très vite il se retrouva encerclé par les nouveaux arrivants. Si un mouvement de panique se produisait, ce serait dramatique. Des voix s'élevaient dans l'assemblée. Des pleurs de jeunes enfants s'en mêlaient. Malgré les éclats de voix, Jérémiah entendit diverses rumeurs, qui n'en étaient probablement plus à présent et qui étaient confirmées.

« Y a plus de vieux en ville ! C'est la fiesta ! »

« Ta gueule ! On ne sait même pas où ils sont et s'ils sont encore en vie ! Si ça se trouve on sera les prochains. »

« Moi j'crois qu'ils nous font juste une mauvaise blague, no stress. »

Jérémiah poussa un soupir, agacé de toutes ces conneries qu'il entendait.

« Calmez-vous tout le monde ! » s'écria une voix à l'aide d'un micro.

Jérémiah, qui était d'assez grande taille, parvint à voir que plusieurs personnes se situaient légèrement en hauteur par rapport à la foule, devant la place principale. Il reconnut notamment le fils du shérif. Perdu dans ses pensées, il se demanda si sa mère était revenue ou non. S'il lui était arrivé quelque chose. Elle était loin d'être parfaite mais si elle venait à disparaitre, nul doute qu'il en serait très affecté. Mal à l'aise parmi la foule, il attendit d'en savoir un peu plus avant de se décider à rentrer.

Eleanor s'était endormie le 24 au soir sans même s'en apercevoir. Elle lisait tranquillement un bouquin, allongée sur son lit en compagnie de Samba, sa chienne. L'instant d'après, elle était déjà partie dans le doux pays des rêves. Le lendemain, lorsqu'elle se réveilla, elle aperçut Samba qui semblait agitée. Elle se rappela alors que juste avant de s'endormir, elle l'avait entendue grogner et l'avait vue bondir du lit mais elle n'eut même pas le temps de lui dire un mot qu'elle s'était déjà endormie. Elle s'inquiéta légèrement, ce qui ne lui ressemblait pas, mais cela ne ressemblait pas non plus à la Golden Retriever de grogner de la sorte, sans raison. Elle s'en serait probablement moins étonnée si cela avait été Atlas, son Berger Allemand, qui s'était exprimé dans son langage canin, puisqu'il avait un côté chien de garde.

Elle se leva doucement et vint s'accroupir aux côtés de sa chienne, qui couinait un peu et qui grattait à la porte de sa chambre pour sortir.

« Ben alors ma belle, qu'est-ce qu'il t'arrive aujourd'hui ? Tu es pressée d'avoir ton cadeau, toi aussi ? » lui dit-elle doucement avec un sourire empreint de bienveillance.

Elle caressa le dos de sa chienne et ouvrit la porte. Celle-ci se précipita dans le couloir et dévala les escaliers. « Bizarre... » songea Eleanor, se contentant de hausser les épaules. Avant de quitter sa chambre, elle jeta un rapide coup d'œil à son réveil. Il indiquait 8h45. Elle descendit à son tour les escaliers. Tout était calme dans la maison, hormis l'agitation des deux chiens. Ses parents étaient du genre à se lever tôt, particulièrement les jours de fête pour avoir le temps de préparer le repas et la table, mais étonnement, Eleanor semblait être la seule réveillée. Ceci dit, elle ne fut pas surprise de ne pas trouver son petit frère, il devait encore pioncer profondément le connaissant. Elle sourit à cette pensée tout en préparant les gamelles de ses chiens. Malgré leur étrange comportement, ils se précipitèrent sur la nourriture dès qu'elle posa les gamelles à terre. Elle donna également à manger à ses deux cochons d'Inde et à son chat qui devait gambader dehors. Elle prit ensuite son petit déjeuner dans le salon, devant la télé. C'est en entrant dans la pièce qu'elle remarqua l'absence de cadeaux au pied du sapin. La famille aimait les traditions de Noël, il était ainsi surprenant que le sapin ne soit pas entouré de cadeaux. Elle se dit simplement que ce serait fait plus tard. Après avoir pris son petit déjeuner, elle se prépara.

Il était dix heures lorsqu'elle redescendit dans la cuisine. Toujours personne, mais au moins ses chiens s'étaient calmés. Sans se poser plus de questions, elle prépara la table. Ses grands-parents maternels devaient venir également pour fêter Noël. Quand elle eut fini, elle entendit quelqu'un descendre les escaliers. Il s'agissait de son frère. Arrivé en bas des marches, il se frotta les yeux, visiblement encore à moitié endormi.

« Salut Ellie ! Maman et papa ne sont pas réveillés ? » demanda-t-il.

Ellie était le surnom affectueux qu'il donnait parfois à sa sœur.

« Coucou ! Non, ils dorment encore, c'est étrange, j'espère qu'ils ne sont pas malades. Je vais aller voir. » répondit cette dernière.

Lorsqu'elle fut devant leur porte, elle tendit l'oreille mais aucun son ne lui parvint. Ce qui était étrange, c'est qu'elle pouvait apercevoir la lumière du jour au niveau du bas de la porte. Les volets n'avaient pas été fermés. Elle se décida alors à toquer doucement.

« Maman ? Papa ? »

Pas de réponse. Elle ouvrit légèrement la porte et s'aperçut que les lits étaient vides.

« Euh... »

C'est le son qui parvint à sortir de sa bouche. Elle rejoignit son petit frère à la cuisine et composa le numéro de téléphone portable de ses parents. Les deux téléphones sonnèrent... dans la maison.

« Que se passe-t-il ? » s'inquiéta le plus jeune des Lynch.

Eleanor posa un regard rassurant sur lui, ne voulant pas le paniquer davantage.

« Maman et papa ne sont pas dans leur lit et ils n'ont visiblement pas emmené leur téléphone. Je vais appeler papi et mamie. »

Elle leur téléphona mais là encore, aucune réponse. Elle put lire la crainte sur le visage de son petit frère. Elle s'approcha et posa sa main sur son épaule.

« Ne t'en fais pas ! Ils ont dû passer chez Sean en vitesse. »

Il s'agissait du meilleur ami de son père.

Lorsque midi sonna, elle se décida à se rendre directement chez Sean pour lui demander s'il savait où se trouvaient ses parents.

« N'ouvres à personne, ok ? Je n'en ai pas pour longtemps » ordonna-t-elle à son frère.

Celui-ci acquiesça sagement et regarda Eleanor s'éloigner. Elle savait qu'avec ses chiens il ne risquait rien puis Spirit River n'était pas une ville dangereuse. Enfin la partie ouest peut-être, mais Eleanor n'était absolument pas du genre à mettre tout le monde dans le même panier et elle préférait se faire sa propre opinion des choses.

Une fois arrivée à destination, elle sonna et ce fut le fils aîné de Sean qui ouvrit.

« Salut James ! Je cherche mes parents, ils ne sont pas à la maison et ça commence à m'inquiéter. Je me suis dit qu'ils sont peut-être passés voir ton père. » expliqua la demoiselle.

« Salut. Non, ils ne sont pas ici et à vrai dire, mes parents non plus. »

Les deux jeunes gens échangèrent encore quelques minutes avant qu'Eleanor ne rentre chez elle. Sur la route, elle croisa d'autres personnes visiblement paniquées et leur demanda ce qu'il se passait. Toutes avaient dit que leurs parents ou certains proches avaient disparu. C'était à rien y comprendre. Est-ce que des personnes avaient vraiment disparu ?

Le soir venu, après avoir tenté à maintes reprises de contacter ses parents, Eleanor décida de faire un tour dans le cœur de la ville pour partir à leur recherche. Les échos entendus le matin même n'avaient cessé de la tourmenter, elle qui ne se laissait que rarement atteindre. Cette fois-ci, elle emmena son petit frère avec elle.

C'est en parvenant au centre ville qu'elle remarqua la foule qui s'étendait à perte de vue. La première chose qui la frappa fut l'âge apparent des personnes présentes. Enfants, adolescents, jeunes adultes. Pas de personnes âgées ou d'âge mur.
En s'approchant, des bribes de conversation lui parvinrent et lui rappelèrent ses discussions de la matinée. Oui, des habitants semblaient vraiment avoir disparu. Pourquoi ? Ses parents en faisaient-ils partie ? Son petit frère commença à sangloter. Elle le prit dans ses bras et tenta de le rassurer.

« Ne t'en fais pas, à tous les coups, c'est une énorme caméra cachée. Papa et maman seraient capables de participer à un tel coup monté ! »

Elle parvint à lâcher un rire. Le pensait-elle vraiment ? Oui, sans hésiter. Légère et optimiste, il lui était impensable d'imaginer un scénario catastrophe. Elle prêta attention à ce qui se disait autour d'elle. Peut-être que certains étaient au courant de ce qui se tramait dans la ville.