"when i find myself in times of trouble, mother mary comes to me" ft ewen walton

Voilà des heures que Liz regardait le plafond de sa chambre. Pour une raison qui lui échappait, elle continuait à y passer le plus clair de son temps. Une telle solitude aurait pu rendre n’importe qui fou, mais pas elle, non. Au contraire, elle n’avait d’autre choix que se raccrocher à ce semblant de normalité. Quand elle était prise dans une lecture, l’espace d’un instant, elle était sûre qu’elle allait bientôt entendre le “Elizabeth, à table!” habituel de sa mère. Mais jamais rien arrivait évidemment. Le silence régnait en maître sur cette maison. Une sorte de suspension consentie de l’incrédulité. Elle avait du mal à savoir comment tous les autres avaient réussi à accepter une telle situation. Un huis-clos, avec des jeunes, aucune explication face à une situation mystérieuse. Elle n’avait jamais été très fan de l’univers de Stephen King ce n’était pas pour vivre dedans.

Si les hypothèses pouvaient se multiplier dans sa tête, elle préférait ne guère trop s’appesantir sur le sujet. Trop peu intéressée par le présent, elle préférait s’enfermer dans le passé… Sur le moment, c’était un processus qui semblait moins douloureux. Si seulement elle avait fait comme son frère et n’était pas venue pour Noël. Si seulement ses parents pour une fois étaient venus lui rendre visite plutôt que l’inverse. Avec des “si”, on mettrait Paris en bouteille, paraît-il. Enfin ici, on sortirait plutôt Spirit River de la maudite bouteille. Elle détestait errer ainsi mentalement. Ces questions étaient des nuisibles à éliminer. Du genre qui ont des portées de six autres questions et qui semblent prêtes à se reproduire à toute heure de la journée. Ses parents sont-ils vivants ? Si oui, où sont-ils ? Est-ce partout pareil ou seule Spirit River est concernée ? Pourquoi ? C’était un puits sans fond de questions qui ne trouvaient guère de réponses et Liz le fixait, prête à sauter. Elle n’avait jamais été à l’aise avec l’absence involontaire de connaissances. Une question la démangeait, elle n’avait qu’à chercher la réponse sur Internet, dans les livres, auprès d’autres humains en cas d’extrême nécessité. Ne pas savoir était sa propre torture personnelle. Elle s’était même demandée à plusieurs reprises si elle n’était pas tout simplement morte, en train de pourrir dans un enfer créé sur mesure pour son esprit névrosé. Mais c’était juste une énième hypothèse qui entraînait davantage de questions encore. Et c’est toujours allongée, regardant le plafond, qu’elle se décida à sortir de son antre. Face aux pensées qui l’avaient envahies durant ces quelques heures, elle pensa que même une introvertie avait probablement ses limites quant à la solitude.

Elle était jusqu’ici peu sortie de chez elle. Le coin restait relativement calme et elle parvenait à se nourrir grâce aux réserves colossales de sa famille. Mais les rares fois où elle parvenait à mettre un pied dehors, ses pas la menaient toujours vers l’Eglise. Elle avait du mal à vraiment savoir pourquoi. Peut-être était-ce là qu’elle se sentait la plus proche de sa famille, peut-être que c’est finalement le lieu qu’elle connaissait le mieux si on omettait l’établissement scolaire. Cette balade n’échappa guère au motif religieux habituel. Elle se retrouva, comme attirée par l’édifice. Mais elle n’y rentrait jamais bien qu’elle savait que certaines personnes y avaient trouvé refuge et qu’elle les connaissait peut-être. Elle avait adressé la parole à certains d’entre eux mais elle ne s’y retrouvait tout simplement pas, elle n’arrivait pas à avoir cette foi aveugle que certains possédaient. C’était beaucoup trop lui demander. Elle était juste une énième paumée sans réponses.

Elle se contentait de rester à l’abri des regards, à l’ombre, à fixer le bâtiment comme si elle avait besoin de s’assurer de sa réalité, de sa stabilité, comme si c’était la seule chose qui pouvait la réconforter au monde. Elle appréciait aussi les quelques présences humaines qui lui donnaient l’impression que la vie menait juste son cours, elle observait toujours les individus discrètement du mieux qu’elle pouvait derrière ses lunettes. Ses yeux finirent par se poser sur un jeune homme qui, comme elle, était figé à regarder l’église. Il était de profil. Elle le scruta longuement, les yeux froncés. Ses vieilles lunettes n’étaient plus à sa vue depuis quelques années mais le garçon lui disait quelque chose. Elle le fixa ainsi plusieurs minutes jusqu’à ce que ce dernier tourna son visage et l’aperçut à son tour. Terrifiée par ce contact visuel avec un probable inconnu, elle détourna aussitôt son regard. Puis elle pensa que cela la rendait suspecte. Suspecte de quoi? Elle ne savait pas. Alors elle le fixa à nouveau et soutint son regard instantanément. Mais cela ne semblait pas non plus une réaction convenable. Elle finit par crier, comme portée par une étrange pulsion: “Salut!”. On pourrait évidemment justifier une telle incapacité sociale par les journées entières à passer seule enfermée chez elle. Mais non. C’était tout simplement Liz dans toute sa splendeur.