Comme une envie de journée ordinaire | Clare E. McAlister

La journée touchait à sa fin. Le temps avait été particulier. Nuages gris, vent glacial, humidité. Il avait été en adéquation avec l'humeur de Jérémiah. Depuis la disparition d'une partie des habitants, il y a de cela environ un mois, il avait commencé à rechercher des indices à travers la ville, mais jusqu'à présent, son enquête ne menait à rien. Dans cette quête, il avait croisé des membres de la bande Back Home qui lui avaient conseillé de les rejoindre, mais sa réponse était un non catégorique. De toute façon, les rumeurs et les ragots allaient bon train,  alors si les Back Home apprenaient quelque chose de particulier, nul doute qu'il serait au courant de quelque manière que ce soit.

Quelque peu abattu par ces dernières journées, Jérémiah avait décidé de passer une bonne partie de l'après-midi au complexe sportif rattaché à l'école secondaire de Center Spirit. Il y allait souvent depuis son adolescence, cela lui permettait d'évacuer la tension et de gagner en force, diminuant ainsi sa crainte de recroiser un jour son géniteur. Ces derniers temps, il ne s'y était pas trop rendu, il faut dire que l'urgence était à toute autre chose. Mais il se rendait compte qu'il ne pouvait pas passer tout son temps à chercher la vérité, ce n'était pas bon pour son équilibre personnel et de ce fait il ne progresserait pas dans son enquête dans tous les cas. Alors il s'était autorisé une journée « détente », bien que pour d'autres une activité sportive était plutôt synonyme de souffrance. À son grand soulagement, personne d'autre n'avait eu l'idée de se rendre à la salle de sport.

Une fois de plus, cette activité avait joué son rôle. Paradoxalement, il se sentait requinqué. Ses inquiétudes s'étaient légèrement estompées et durant tout le temps où ses bras soulevaient des haltères et où ses jambes pédalaient, il en avait oublié l'ambiance de Spirit River. Pour terminer en beauté et détendre ses muscles, il prit une douche sur place, ayant pensé à emmener des affaires de rechange. Comme cela lui arrivait de le faire auparavant. Comme si c'était un jour ordinaire. Il avait ensuite quitté les lieux, presque avec regret.

Une bouffée d'air frais le frappa, mais cela ne le déstabilisa pas le moins du monde. Il commença à marcher en direction de son quartier, d'un pas lent mais déterminé. Bien que titulaire du permis de conduire, il avait toujours préféré se déplacer à pied, ou éventuellement en transport en commun bien que la sensation d'être collé aux autres personnes ne lui plaisait guère. Aujourd'hui n'avait pas fait exception, même si nous étions en plein hiver. Mais finalement, au bout d'une centaine de mètres, il se stoppa net, comme si on l'avait interpellé. En un sens, oui, mais l'interpellation venait d'un sentiment intérieur. Une envie de prolonger cette journée hypocritement ordinaire. Le besoin de renouer avec des sentiments et sensations passés et rassurants. Alors il prit la direction de l'East Spirit.

Il ne s'arrêta de marcher que lorsqu'il atteignit son but. Il ne saurait dire combien de temps il avait marché et la notion du temps n'avait plus la moindre importance à présent. Il n'était plus question de se lever à sept heure pour se rendre en cours, il n'était plus question de partir à dix heures pour arriver à l'heure au travail, il n'était plus question de se coucher tôt pour faire plaisir aux parents. Presque comme si les derniers habitants de Spirit River étaient coincés dans une boucle temporelle ou dans une autre dimension.

Il entra dans le bâtiment et s'arrêta au milieu du hall, fermant les yeux quelques instants. Son imagination se laissant aller, il eut presque l'impression de sentir l'odeur du pop-corn lui chatouiller les narines. Oui, vous l'aurez compris, il s'était rendu au cinéma. Étant employé, il avait les clés, qu'il rangeait souvent dans son sac de sport puisque s'il en avait l'occasion, il se rendait à la salle de sport avant ou après son service. Il n'était donc pas surprenant qu'il ait les clés sur lui actuellement.

Il eut envie de regarder un film, un film d'horreur plus précisément. Malgré la lourdeur de la situation, ses goûts ne le quittaient pas au profit d'une comédie ou de tout autre film niais qui aurait pu alléger l'atmosphère. Il en choisit un sorti il y a quelque temps, réalisé par une petite équipe très prometteuse, qui était parvenue à convaincre le cinéma d'East Spirit de diffuser leur œuvre. Il était question de zombies, entre autres, mais le film avait su s'éloigner des clichés avec habileté. Lorsque tout fut prêt, Jérémiah s'installa dans la salle qu'il avait choisie. Comme si tout était normal.

Confortablement installé sur son siège à regarder un film, Jérémiah ne pensait plus à rien malgré la nature du film, post-apocalyptique, avec laquelle il pouvait faire un parallèle avec la situation actuelle. Bien entendu, il n'était pas question de zombies mais la disparition mystérieuse des adultes donnait à la ville des airs de fin du monde. Pourtant, il était là comme si rien de particulier n'était survenu. Comme si dès qu'il allait rentrer chez lui, il retrouverait sa mère, probablement bourrée, et lui préparerait un bon petit plat qu'elle ne toucherait sans doute même pas.

Absorbé par le film, il sursauta lorsqu'il entendit la porte s'ouvrir. Il se retourna vivement, méfiant. À l'instant même, il se maudit lui-même de ne pas avoir refermé la porte à clé lorsqu'il était entré dans la bâtisse. Au-delà de son désir de tranquillité, il était question de sécurité. Il était hors de question que quelqu'un touche à son cinéma, sous-entendu l'endroit où il avait travaillé car il n'avait aucun droit de propriété dessus. Mais ce lieu était fort apprécié des jeunes et il n'y en avait qu'un dans la ville contrairement aux commerces, bars, restaurants ou autres, alors s'il venait à être détruit, nul doute que Jérémiah en serait très affecté. En un sens, le lieu en lui-même représentait un souvenir de sa vie d'avant. Bien qu'elle n'était pas désirable, il ne pouvait nier qu'il s'inquiétait pour sa mère, où qu'elle soit, et il préférait retrouver un semblant de « normalité », déjà que sa vie ne l'avait jamais réellement été.

Lorsque l'arrivant s'installa au fond de la salle, Jérémiah se détendit légèrement. L'individu ne semblait pas mal intentionné même s'il restait sur ses gardes. Dans la pénombre, il ne parvint pas à distinguer de qui il s'agissait. Quoi qu'il en soit, il fut étonné que quelqu'un d'autre s'installe là tranquillement, comme si tout était normal. Il reporta son attention sur le film, tout en jetant de temps à autre des coups d'œil au fond de la salle, non pas pour tenter de découvrir l'identité de la personne mais pour être certain qu'il reste à sa place et ne prépare pas un mauvais coup. Méfiance. Encore et toujours. Légère paranoïa même peut-être. Qu'importe.

Enfin, le film se termina. Étrangement, bien que ce ne soit pas un film anormalement long, le temps sembla être suspendu durant sa diffusion. Comme si l'esprit de Jérémiah souhaitait prolonger ce moment de normalité le plus longtemps possible, pour échapper à cette réalité qui l'attendait dehors. Pourtant, il n'était pas de ceux qui peinaient à s'en sortir, loin de là. Il avait probablement trop tardé à s'octroyer une pause, tout simplement. Et son esprit le lui rappelait inconsciemment. Il resta assis encore deux ou trois minutes, les yeux rivés sur le générique sans pour autant qu'il y prête la moindre attention. Était-il perdu dans ses pensées, ou espérait-il que l'autre personne présente s'en aille sans lui adresser la parole ? Laissons planer le doute.

Il se leva subitement, poussa un soupir et commença à remonter l'allée droite de la salle, longeant les sièges. Arrivé à hauteur de la dernière rangée, il prit la parole.

« Je vais devoir fer... »

Il arrêta net sa phrase, reconnaissant à présent la personne qui s'était installée.

« Clare ?! » s'exclama-t-il. « Je ne m'attendais pas à te voir ici. »

Il s'agissait de l'une de ses amies, malgré leur différence d'âge. L'une des rares à qui il avait pu se confier un peu durant son adolescence. Moins qu'à ses meilleurs amis, mais il avait tout de même fait comprendre que sa mère n'était pas tombée sur un homme attentionné et qu'elle en avait été détruite.
Il l'avait rencontrée peu après le décès de ses parents, lorsqu'elle s'était installée dans le West Spirit. Il avait alors une dizaine d'années. Déjà à cette époque, il avait un côté protecteur, puisqu'il l'avait débarrassée de deux malfrats le jour où il fit sa rencontre, en focalisant leur attention sur lui. Par la suite, il lui avait rendu service à divers occasions. Elle fit de même lorsqu'elle l'aperçut un jour ramener sa mère bourrée, lorsqu'il traversait l'adolescence. Elle fut à son écoute, même s'il ne lui avait pas tout dévoilé. À la question « lui aurait-il fait part d'une partie de son histoire si elle n'était pas tombée sur cette scène ? », je répondrais que je n'en sais rien. Le problème avec les « si », c'est qu'on ne sait que rarement comment les choses se seraient déroulées. Cependant, on peut penser que si Jérémiah avait eu un meilleur père, il aurait été bien différent aujourd'hui. Mais peut-être aurait-il été influencé par de mauvaises personnes et avoir le meilleur père du monde n'aurait pas pu l'aider. Il ne le saurait jamais. Ce n'était pas plus mal, car cela aurait signifié qu'il avait peut-être un mauvais fond, le renvoyant ainsi à sa peur continuelle de devenir son géniteur. Était-il bloqué dans cette conception au point de l'imaginer dans toutes les situations possibles, comme si elle était inéluctable ?

« Cela fait un moment que je ne t'ai pas vu. » poursuivit-il en affichant un sourire sincère.

Depuis les événements, il ne l'avait pas croisée et même avant, cela faisait quelques semaines qu'il n'était pas tombé sur elle. Il s'était demandé ce qu'elle était devenue suite à la disparition des adultes, espérant qu'il ne lui soit rien arrivé. Mais focalisé sur son enquête et ses tourments, il se rendit compte qu'il ne s'était même pas donné la peine d'aller sonner à son domicile pour prendre de ses nouvelles. Il se pinça les lèvres, honteux. Lui qui avait été là pour elle à certains moments après le décès de ses parents, le voilà qui ne prenait même pas de nouvelles alors qu'une partie des habitants a disparu. Et si elle avait elle aussi disparu, que serait-il advenu de ses sœurs ? Elle était certes débrouillarde et aurait probablement trouvé de l'aide, mais il aurait été plus que normal que cette aide provienne de Jérémiah, qu'elle connaissait depuis plusieurs années. Il se rendit compte à cet instant que son côté solitaire commençait à s'imposer un peu trop. Sa plus grande crainte aussi, mais il la refoulait.
Quoi qu'il en soit, il était content de la voir, mais n'exprimant que peu ses émotions, comme si une barrière l'en empêchait, il n'en dit rien. Cela ne lui traversait même pas l'esprit, tout simplement.

Jérémiah ne s'attendait certainement pas à voir Clare en cet instant. Il le lui avait d'ailleurs signifié. S'il la considérait comme une amie, ils n'étaient pas souvent fourrés ensemble. Chacun avait ses occupations et au fur et à mesure de son avancée vers l'âge adulte, Jérémiah s'était davantage renfermé, ses angoisses permanentes prenant le dessus. Il s'en voulait malgré tout de ne pas avoir pris de ses nouvelles suite aux événements. À croire qu'en cas de catastrophe, chacun était trop occupé à s'occuper de lui-même ou du moins ne prêtait pas attention à tout ce dont il le devait. Tout du moins lorsqu'il s'agissait d'une catastrophe mettant en péril l'humanité, comme on pouvait le voir dans les films ou séries post-apocalyptiques bien souvent, comme dans les films de zombies tiens. Pourtant, lorsque le drame n'annonçait pas le glas de la fin du monde, les humains pouvaient montrer une solidarité qu'on ne leur connaissait pas en d'autres circonstances. Ne voyons pas les choses sous un œil négatif uniquement. Tout était dans la nuance, mais Jérémiah, lui, ne semblait pas en capacité de nuancer ses pensées le concernant.

Après avoir salué Clare, celle-ci se leva.

« Je ne m'attendais pas à te voir non plus, Jérémiah » lui dit-elle avec un sourire. « Ça fait longtemps en effet... Comment vas-tu ? »

« Je vais bien, je te remercie. Et toi ? Comment tes sœurs et toi allez-vous ? » demanda-t-il, une légère inquiétude perçant dans le son de sa voix.

Il savait très bien que Clare avait toujours fait passer le bien-être de ses sœurs avant le sien. S'il leur arrivait quelque chose, il n'était pas sûr qu'elle s'en remettrait, même avec le temps. Alors si elle s'était permise une petite distraction en cet instant, c'est probablement que tout le monde se portait bien. Du moins autant que c'était possible de l'être dans les conditions actuelles.

Lorsque Clare lui demanda s'il avait rejoint un groupe, il se raidit quelque peu.

« Non. Je suis assez solitaire, tu me connais. Je n'ai pas besoin des autres pour m'en sortir. » répondit-il d'un ton plus sec qu'il ne l'avait souhaité.

Il poussa un léger soupir, se rendant compte de sa maladresse, avant de reprendre.

« Mais après c'est propre à chacun. Cela ne veut pas dire, à mes yeux, que ceux qui ont choisi de rejoindre un groupe sont moins débrouillards. Certains sont porteurs dans le groupe et encouragent d'autres personnes, qui peuvent à leur tour se révéler dans d'autres situations. Cette interaction peut s'avérer bien plus efficace qu'une personne qui évolue seule par contrainte. Mais pour quelqu'un qui ne voit pas le groupe comme une force, je pense que c'est plutôt l'effet inverse qui se produit... Je ne veux pas être une charge et je ne veux pas subir celle des autres. »

Il se détendit à nouveau et se permit un autre sourire. Il savait faire preuve d'une bonne capacité d'analyse même s'il n'en faisait pas souvent part à haute voix.

« Et vous, vous avez rejoint un groupe ? »

Si Clare pouvait facilement déduire la réponse à cette question lorsqu'il s'agissait de Jérémiah, ce dernier l'ignorait complètement s'agissant de Clare. D'un côté, le groupe pouvait être un bon moyen de protection pour ses sœurs et elle, à condition que les individus le composant ne soient pas dotés de mauvaises intentions. De l'autre, elles avaient toujours su se débrouiller seules, elles aussi. Il ignorait ainsi ce que l'aînée McAlister avait choisi. Même si pour lui le groupe était un fardeau, il espérait qu'elles en aient rejoint un digne de confiance. Être autonome dans la vie était une chose, être autonome dans un monde en tension en était une autre.

Clare confirma les pensées de Jérémiah, ses sœurs et elles se portaient bien. Elle lui apprit également que toutes trois avaient rejoint les Wolves, le groupe principal qui s'était formé suite aux événements. Si Jérémiah ne connaissait pas les leaders, il en avait entendu parler. La meute était le nom qu'ils s'étaient donnés. Cela le fit sourire intérieurement. Cela aurait pu être un nom sorti tout droit d'une série, peut-être était-ce d'ailleurs le cas, il n'en savait rien. Quoi qu'il en soit, il faisait davantage penser à un groupe aux mauvaises intentions que l'inverse. L'image négative du loup, peut-être. À tort d'ailleurs, mais les humains ne voyaient rarement plus loin que le bout de leur nez et ne pensaient qu'à leur intérêt, ce n'était pas à lui qu'on allait lui apprendre.

Que Clare soit devenue leader ne le surprit pas. Elle était digne de confiance et avait l'assurance nécessaire pour occuper un tel rôle. Nul doute qu'elle savait parfaitement réconforter les plus jeunes. Après tout, ses parents avaient disparu à elle aussi, même si c'était pour toujours et que dans le cas présent, tout le monde, ou une bonne partie des jeunes disons, espérait les voir revenir. Il était hors de question pour Jérémiah d'imaginer le pire et ne jamais revoir sa mère. Elle n'avait pas été parfaite mais elle avait su le sauver avant qu'il ne soit trop tard, même si elle n'avait pas assuré bien longtemps.

Inquiète à son tour, Clare reprit la parole d'un ton des plus sérieux.

« Jérémiah, je veux que tu me promettes que si jamais un jour, tu as besoin d'aide, tu viendras me voir. Je sais que tu es parfaitement capable de te débrouiller seul et c'est pour ça que je ne te demande pas de nous rejoindre, mais tu n'es pas à l'abri de fous qui voudraient te faire du mal, t'exploiter, ou que sais-je. Si jamais un jour tu te retrouves dans cette situation, tu viendras me voir, d'accord ? Les filles et moi vivons à la Mairie maintenant. »

L'intéressé arqua un sourcil, surpris et indécis. Il n'avait pas l'habitude qu'on se préoccupe de lui. S'il en avait été capable de s'en rendre compte, il aurait même trouvé cela agréable. Mais à ses yeux, il n'y avait aucun souci à se faire. Il était conscient qu'il y avait des fous un peu partout, en ce monde et à Spirit River, comme partout. Après tout, il avait grandi avec un individu de cette trempe. Il avait même peur d'en devenir un. Là encore, ce n'était pas à lui qu'on allait apprendre que le monde n'était pas tout rose. Il pouvait tomber sur un individu de ce type c'est vrai, mais finalement, qu'est-ce que Clare pourrait y faire ? Tout d'abord, il était presque impossible que quelqu'un parvienne à l'exploiter, selon lui. De par sa méfiance naturelle et son côté solitaire, il ne prenait aucun risque. Il avait ses amis, cela lui suffisait. Il pourrait aider quelqu'un de façon ponctuelle, mais sans que cette personne ne l'accompagne ensuite dans son quotidien. Dès lors, aucune manipulation ne pourrait s'installer. Quant à l'hypothèse d'une personne qui souhaiterait lui faire du mal physiquement, il était suffisamment costaud pour se défendre. Et s'il n'y parvenait pas, chercher de l'aide serait probablement inutile puisqu'il n'y avait à ce moment-là plus que deux options à ses yeux : soit il était tué, donc clairement aucune aide ne lui serait utile, soit il était blessé et estimerait que son adversaire n'avait pas eu l'intention de le tuer ou qu'il était de taille à lui tenir tête, par conséquent il n'avait pas besoin de « courir se cacher ». De toute façon, il était bien trop fier pour cela. Et s'il avait besoin d'aide suite à une quelconque agression ou menace, il n'irait certainement pas auprès de Clare. Non pas qu'il la jugeait inapte à l'aider, mais il était hors de question qu'il la mette en danger elle ou les jumelles. Ainsi, il n'avait pas envie de lui promettre quoi que ce soit.

« Ne t'inquiètes pas. » répondit-il avec un fin sourire. « Je sais parfaitement que je peux tomber sur des personnes mal intentionnées, mais je ferai attention et saurai où me rendre en cas de difficulté. »

Il ne lui promit rien, mais il se donna au moins la peine de trouver un compromis. Il parvint à hocher doucement la tête, en signe de remerciement. Intérieurement, il la remercia également de ne pas avoir proposé de rejoindre la meute, signe qu'elle était attentive à ses propos et tenait compte de sa personnalité.

Clare sembla soulagé par la réponse de Jérémiah, réaffirmant qu'il pouvait compter sur elle et ses sœurs. Il n'en avait jamais douté. Tout comme elle savait qu'elle ne parviendrait pas à le convaincre de les rejoindre. Il la remercia par un sourire sincère et tous deux se dirigèrent vers la sortie du cinéma, mettant fin à ce semblant de vie ordinaire pour reprendre celle qui les attendait à l'extérieur. Plus morne, plus angoissante. Lorsque les deux jeunes gens se retrouvèrent dehors, Jérémiah ferma les portes de son précieux cinéma. Il espérait y retourner sous peu. Ce n'était pas le temps qui manquait, mais il devait être dans de bonnes dispositions. Quoique, à l'inverse, ce lieu était un refuge. Alors finalement, s'y rendre lui permettrait probablement de se sentir mieux, s'il y allait un jour où son moral n'était pas au beau fixe.

Clare le salua, il fit de même.

« À bientôt, prends soin de tes sœurs et de toi. »

Il la regarda s'éloigner, pensif. Elle devait probablement retourner à la mairie. Ce qui était bien avec elle, c'est qu'elle s'éternisait rarement. En cet instant, cela ne l'aurait pas dérangé de passer davantage de temps en sa compagnie, mais bien souvent, il aimait se retrouver seul. Sur ce point, Clare n'avait jamais été envahissante. Elle comprenait toujours lorsque le jeune homme avait besoin de se retrouver seul. En même temps, il ne le cachait que rarement, même si avec ses proches il se montrait généralement moins froid qu'avec des inconnus et manifestait son envie de solitude de façon plus dissimulée, plus polie.

Il jeta un dernier coup d'œil à l'intérieur du cinéma et prit la direction de son domicile, un peu plus serein que ces derniers jours.